Je rattache mon « cabinet d’artiste » à cette tradition anversoise des « cabinets d’amateur » qui vit le jour à la fin du XVIème siècle et qui connut de nombreuses variantes. Mon travail ne s’inscrit pas dans une logique de copiste ou de faussaire pour posséder des œuvres inaccessibles ni dans la constitution d’une collection où d’un musée idéal. Le propos est plus subjectif, comme un geste d’appropriation où les maîtres anciens se font nourriture et prétexte à construire mon œuvre propre. Je m’immisce sous les vernis craquelés pour inscrire ma touche personnelle. La troisième dimension – illusionniste pour le tableau – devient mon champ d’action. Je transforme cette perspective fictive en espace intime et invente le volume laissé en plan sur les toiles. Je modèle des variations imaginaires de points de vue qui obligent le spectateur à tourner autour de l’œuvre. L’angle de vue unique imposé par le tableau d’origine est multiplié à l’infini. Dans cet effet miroir, l’original se perd ; je suis Alice toute puissante qui fait fi du temps et de l’espace. J’enjambe les siècles et raccorde mes réminiscences dans une cohérence visionnaire. Je me glisse dans les recoins vacants et sème des indices de passage, des espaces d’infidélité, de création, de recréation, de récréation. De nouvelles histoires prennent forme sous les couches de peintures, des lumières inédites accompagnées d’autant d’ombres feintes ou réelles se font jour. Mes boites jouent sur « plusieurs tableaux » entre l’apparence immédiate où l’on identifie au premier coup d’œil les icônes de l’histoire de l’art et l’apparence trompeuse où l’espace ludique s’impose en clins d’œil. En constante évolution, le cabinet est placé en orbite sur la route du « grand tour » à la rencontre de nouvelles œuvres… au gré des expositions.
Coco Téxèdre
Le cabinet d’artiste est composé de trente et une boites. D’après Jérôme Bosch La tentation de St Antoine, Le jugement dernier, Le concert dans l’œuf – Sandro Botticelli St Augustin – Salvador Dali Le spectre de Vermeer servant de table – Jacques-Louis David La mort de Marat – Olivier Debré La métamorphose de Chinon ou la translation de Jeanne la France – Max Ernst Le jardin de la France – Pieter de Hooch Arrière-cour d’une maison hollandaise – Pieter Janssens Femme lisant – René Magritte Hommage à Mack Sennet, La mémoire, L’attentat, Le modèle rouge II, Les marches de l’été, L’éternité, Souvenir de voyage – Andréa Mantegna Le martyre de St-Sébastien – Henri Matisse Intérieur à la boite de violon, Intérieur bocal à poissons rouges – Jean-François Millet Femme enfournant le pain, L’angélus – Berthe Morisot Dame et enfant sur la terrasse – Egon Schiele La chambre de l’artiste à Neulengbach, L’agonie – Maurice Utrillo Rue du Mont Cenis – Vincent Van-Gogh La chambre à Arles – Jan Vermeer de Delft La ruelle.
En 2000, le studiolo est exposé pour la première fois au musée St Roch d’Issoudun. A chaque nouvelle exposition, il s’enrichit d’une œuvre en connivence avec le lieu d’accueil. En 2002, le voyage à l’hôtel de ville de Ronchin donne naissance à une variation du Concert dans l’œuf de Jérôme Bosch dont l’original est conservé au palais des beaux-arts de Lille. En 2003, à la médiathèque d’Avoine, à proximité de l’atelier de Max Ernst à Huismes, dans la région de la confluence Indre et Loire ; une Vénus Anadyomène se mue en nouvelle version du Jardin de la France. Puis en 2003-2004, au musée du Berry à Bourges vient s’ajouter Dame et enfant sur la terrasse de Berthe Morisot, artiste originaire de la ville. A la chapelle Ste Anne à Tours en 2017, à l’occasion de l’ouverture du Centre de création contemporaine Olivier Debré, La métamorphose de Chinon ou la translation de Jeanne la France est revisitée.